Colloque 2025

Colloque annuel des étudiant.e.s de maîtrise et de doctorat en études françaises et francophones
Université McMaster
LRW 2001 (L.R. Wilson Hall)
Hamilton, Ontario
Les 15 et 16 mai 2025
Quand le silence devient parole : l’expression du non-dit dans les productions littéraires
et culturelles francophones
La parole, avec son rôle performatif et son pouvoir de légitimation, occupe une place centrale dans le système langagier et dans la communication, qu’elle soit utilisée pour louer, persuader, incanter ou révéler. Dotée d’une autorité incontestable, la parole s’impose comme une véritable arme, capable d’instaurer un ordre ou de fragiliser les bases d’un système par son pouvoir de désigner, dénoncer et dévoiler. Elle influence les croyances, les opinions et les comportements, et exerce une autorité décisive dans des domaines aussi variés que le social, le politique, le judiciaire, le scientifique, le culturel et le religieux.
Le défaut de parole implique-t-il alors une absence totale de communication ? Bien que le silence puisse être défini comme l’absence de parole ou de son, cette absence se révèle au fait bien plus complexe. Lourd de sens, le silence peut représenter différents phénomènes. Il peut être moyen d’expression, mécanisme de contrôle, injonction oppressive, source de refuge, lieu de résistance, espace de réflexion ou encore révélateur des non-dits. Dans les textes verbaux ou cinématographiques, le silence peut mettre en évidence les traumatismes, les tabous ou les blessures du passé, tout comme il peut évoquer des tensions internes, des secrets inavoués ou des réflexions profondes. On ne doit pas minimiser la puissance de certains silences, volontairement placés au sein de la parole et souvent porteurs d’un sens égal à celui des mots. Car le silence ne contredit pas le langage ni ne le prive de sa fonction naturelle. Il en est fondamentalement une composante essentielle : sans silence, il n’y aurait ni parole ni musique.
La relation entre ces deux aspects de la communication humaine traverse la littérature et le cinéma, mettant en lumière des espaces d’expression, de répression, d’éloquence et de non-dit. Ce colloque se propose d’explorer comment ces deux phénomènes, en apparence opposés, se conjuguent pour enrichir la complexité des oeuvres littéraires et cinématographiques francophones. Nous invitons les étudiant.e.s de maîtrise et de doctorat à questionner les limites de l’expression verbale et sonore, ainsi que les mécanismes narratifs qui permettent de donner voix aux silences. En vue d’encourager la réflexion, nous proposons à titre indicatif et non exhaustif quelques axes de recherche.
Axe
Souvent perçu comme « vide » et assimilé à l’absence (Dibavar, 2022), à la complicité (Mihai, 2020), ou encore à la passivité (Glenn, 2004), le silence peut être envisagé comme une contrainte à briser ou un vide à combler. On l’a vu avec l’émergence de la littérature #MeToo, une 2 production littéraire fondée sur la croyance que nommer la violence sexuelle et partager les récits personnels peuvent contribuer à y mettre fin (Saint-Amand et Zbaeren, 2022 ; Serisier, 2018). Vu sous cet angle, le silence représente une injonction oppressive, un obstacle qui doit être surmonté afin de confronter les normes, les tabous et les violences. C’est une vision du silence qui est avancée par la militante féministe afro-américaine Audre Lorde, dans sa célèbre déclaration : « Mes silences ne m’ont pas protégée. Votre silence ne vous protégera pas »1 (1984, p. 41).
En même temps, on peut se demander si l’obligation de parler, de tout dire, ne peut pas être toute aussi violente que l’injonction au silence. C’est une question que posent Léonore Brassard et Catherine Mavrikakis (2021) en réfléchissant aux limites énonciatives de #MeToo, mouvement fondé sur le partage du trauma intime : « Les femmes sont-elles condamnées à l’intimité étalée, condamnées à l’impudeur ? » (p. 6). La question de garder le silence plutôt que de le rompre surgit aussi dans la pensée décoloniale, où le silence est envisagé comme un moyen de reprendre l’agentivité face à l’oppression : « Le silence n’est pas toujours une forme de subordination. Plutôt, il peut parfois représenter une réponse à la subordination, un accomplissement choisi quand d’autres choix semblent désagréables ou impossibles »2 (Olson, 2024, p. 14). Nous en voyons un exemple dans Le livre d’Emma (2001) de Marie-Célie Agnant, où la protagoniste racisée décide d’adopter le silence face à la démarche extractive de la psychiatrie occidentale.
Cet axe s’intéresse aux rapports entre le silence, la parole et l’agentivité, et il invite à étudier les questions suivantes : Quels sont les silences oppressifs dont il faut se défaire ? À qui incombe-t-il de rompre le silence et à quel prix ? Quand le silence est-il un choix et quand est-il imposé ? Quels sont les silences volontairement maintenus ?
1 Traduit de l’anglais: « My silences had not protected me. Your silence will not protect you. »
2 Traduit de l’anglais : « Silence is not always a form of subordination. Rather, it can sometimes be a response to subordination, an achievement chosen when other choices seem unpalatable or foreclosed. »
Le silence ne devrait pas être réduit à l’absence de parole ou à l’acte de se taire. Plutôt que d’être antonymes, la parole et le silence représentent deux parties d’une négociation, comme l’explique Grada Kilomba (2008) : « L’acte de parler est comme une négociation entre celleux qui parlent et celleux qui écoutent […] L’écoute est, en ce sens, l’acte d’autorisation adressé au locuteur ou à la locutrice. On ne peut parler que si l’on est écouté.e »3 (p. 21). Une telle équation entre les actes de parler et d’écouter éclaire la position de dépendance occupée par cellui qui parle et qui risque d’être réduit.e au silence par un.e auditeur.trice inattentif.ive ou malveillant.e. Cette dépendance est démasquée par Gayatri Spivak (1988), qui a introduit le terme « violence épistémique » dans le champ des études postcoloniales pour décrire l’obscurcissement des savoirs non-occidentaux et la réduction au silence des groupes subalternes. Miranda Fricker (2007) développe pareillement la notion d’« injustice épistémique » pour réfléchir à l’éthique de l’écoute et aux torts infligés lorsqu’un.e locuteur.trice est réduit.e au silence en raison de son identité ou deses expériences. En s’inspirant des travaux susmentionnés, cet axe cherche à mettre en avant la relation inhérente entre la parole et l’écoute et invite les participant.e.s à réfléchir aux questions suivantes : Quelles voix écoute-t-on ? Quels savoirs reconnaît-on ? Quelles expériences et quelles émotions sont-elles réduites au silence ? Quelles sont les responsabilités éthiques liées à l’écoute ? Que peuvent nous apprendre les textes littéraires et cinématographiques sur ces responsabilités ?
3 Traduit de l’anglais : « The act of speaking is like a negotiation between those who speak and those who listen […] Listening is, in this sense, the act of authorization toward the speaker. One can (only) speak when one’s voice is listened to. »
Différents procédés peuvent être employés pour naviguer dans le silence sans recourir à la parole. Parfois, il est même plus facile de s’exprimer sans mots, car les moyens non-verbaux de communication permettent de dire ce que les mots ne peuvent pas (Duke, 1974). Dans des situations où la parole doit se conformer aux limites imposées par la société (un amour interdit, le tabou ou des attentes sociales normatives), la communication non-verbale permet d’esquiver ces obstacles. Il est souvent dit que les yeux sont les fenêtres de l’âme et cette idée se reflète dans les oeuvres littéraires et cinématographiques car le regard peut traduire des émotions telles que l’affection, la haine ou la colère sans qu’un seul mot soit prononcé. Nous le voyons par exemple dans le roman Vaste est la prison où la narratrice affirme : « Je le sens confusément à son regard quelque peu amusé posé sur moi avec indulgence, et une tendresse diffuse […] Je lui souris donc, au dernier instant, heureuse d’affermir notre lien secret, notre attirance mutuelle » (Djebar, 1995, p. 91).
Les gestes représentent un autre moyen important de la communication non-verbale. Dans la littérature, les postures du corps et les gestes des personnages peuvent éclairer leurs émotions, leurs motivations, leurs relations réciproques et leurs interactions avec le monde (Portch, 1982, p. 84). Grâce à ces moyens non-verbaux de communication, le dialogue, acte de communication qui « passe à travers » et qui « pénètre », s’accomplit sans mots. La communication non-verbale subvertit ainsi l’opposition binaire entre la parole et le silence. L’intervention du non-verbal invite à réfléchir à des questions telles que : Comment la communication se réalise-t-elle par le regard et les gestes ? Quel pouvoir réside-t-il dans la décision de naviguer le silence et dans le silence ? Quelles sont les limites des moyens non-verbaux de communication ?
Le cinéma, art de la parole et du silence par excellence, nous invite à repenser la relation entre ce qui est entendu et ce qui est tu, entre ce qui est montré et ce qui reste hors champ. Le son et le silence sont des éléments essentiels de la mise en scène et de la narration cinématographique, et leur utilisation stratégique comporte de profondes implications esthétiques, politiques et émotionnelles. Michel Chion, dans La voix au cinéma (1982), explique que la voix dépasse le simple acte de parole ; plutôt que de « parler “autour” de la voix », affirme-t-il, il faut considérer le médium « comme objet, sans se perdre dans la fascination que [la voix] inspire, ni la réduire à une simple fonction de véhicule du langage et de l’expression » (p. 12). La voix peut guider le.la spectateur.trice, créer des attentes et influencer l’interprétation des images.
La manipulation du silence et du son a le pouvoir de perturber l’expérience sensorielle du film et d’amener l’audience à se concentrer davantage sur les aspects visuels et physiques de l’oeuvre. Rupture dans le flux sonore, le silence recentre l’attention sur l’image et réduit temporairement le film à une expérience bidimensionnelle (Elsaesser et Hagener, 2010, pp. 134-135). En enlevant le repère du « regard acoustique », qui oriente et stabilise l’audience dans l’espace, le silence désoriente et déstabilise les perceptions des spectateurs.trices (Elsaesser et Hagener, p. 142). Un silence soudain peut suspendre l’audience dans un état de tension, d’introspection, de frayeur ou d’horreur, de manière parfois plus efficace que des mots ou des sons. Dans son ouvrage L’audio-vision : son et image au cinéma (1990), Chion souligne cette interaction entre le son et le silence : « Il a bien fallu qu’il y ait des bruits et des voix pour que leurs arrêts et interruptions creusent cette chose qu’on appelle silence » (p. 65).
Dans le cadre de cet axe, des questions suivantes peuvent être explorées : Comment les réalisateurs utilisent-ils le silence pour contourner les structures narratives traditionnelles ? En quoi l’absence de parole réoriente-t-elle le regard du spectateur ? Comment la parole et le silence sont-ils utilisés pour articuler des dynamiques de pouvoir et de contrôle dans les films? Comment certains réalisateurs utilisent-ils le silence pour créer une esthétique immersive qui sollicite les perceptions du spectateur au-delà du visuel et du sonore ?
Sans s’y limiter, les communications pourront s’inspirer des pistes de réflexion suivantes :
- La censure et le silence imposé
- Le silence dans les récits de trauma
- La dynamique entre le silence et la parole dans le cinéma
- Le silence comme outil d’oppression
- Le silence comme espace de résistance
- Le rapport entre le silence et l’agentivité
- Les rapports entre le silence et l’oubli
- Les silences de la mémoire collective, de l’Histoire et des archives
- Réflexions autour de la justice épistémique
- Réflexions autour de l’éthique de l’écoute
- Analyse des stratégies rhétoriques utilisées pour représenter le silence dans l’écriture, par exemple : l’aposiopèse, l’ellipse, l’implicite, la prétérition, la réticence, la suspension
- Le silence, l’intimité et l’émotion
- Les jeux entre le silence et la parole dans le discours intérieur ou le courant de conscience
Modalités de soumission des propositions :
Les communications doivent être rédigées en français et ne doivent pas dépasser 20 minutes.
Veuillez envoyer les propositions de communication à l’adresse colloque.frmac2025@gmail.com, en y incluant :
- Le titre
- Le résumé (250 à 300 mots)
- Une bibliographie des références citées dans votre proposition
- Une courte notice biobibliographique
- Vos coordonnées
Notez que ce colloque aura lieu en présentiel. Nous envisageons une séance virtuelle (Zoom) avec des places limitées. Si vous souhaitez donner une communication virtuelle, nous vous invitons à signaler cette préférence dans votre proposition de communication. Les organisateurs ne peuvent toutefois pas garantir que cette préférence sera satisfaite dans tous les cas.
Pour tout renseignement, veuillez communiquer avec le comité organisateur à l’adresse susmentionnée.
Dates importantes :
La date limite pour soumettre la proposition : le 24 février 2025.
Le comité de lecture communiquera les réponses au plus tard le 17 mars 2025.
Site web :
Consultez le site du Département de français de l’Université McMaster.
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Comité organisateur :
Céline Assaf
Emily Current
Luisa Gherghel
Athira Sanjeev
Dre Elzbieta Grodek
Colloque 2024

Colloque annuel des étudiant.es de maîtrise et de doctorat en études françaises et francophones
20ᵉ édition
Université McMaster
Hamilton, Ontario
Les 28 et 29 mai 2024
Faire face au conflit : perspectives littéraires et culturelles
Qu’il soit interpersonnel, social, idéologique, politique ou civil, le conflit suppose à son origine une tension qui met à dure épreuve la relation. De cette tension naît une instabilité, un état de désordre, et un manque de cohésion qui demandent une résolution en vue du rétablissement de la relation ainsi compromise. Dans son sens global, le conflit communique « une situation relationnelle structurée autour d’un antagonisme », ce qui suggère des valeurs mises en opposition, des enjeux de compétition ou des hostilités affectives (Marc et Picard 130). Le conflit est aussi associé à une lutte pour la survie (Jones et Fabian 1), à la division subjective entre « soi » et « autre » (Jones et Fabian 5) ou à une expression du politique (Morier et Thollot 154). Selon sa définition wébérienne, « la tension désigne les rapports d’opposition qu’engendrent la rencontre entre des sphères différentes de la vie » (Steiner 167). Les définitions citées révèlent à quel point le conflit est un concept ouvert qui renvoie à une variété de configurations.
Les interprétations ordinaires présentent le conflit comme une force négative et destructrice, ce que l’époque actuelle semble confirmer. Les guerres et les génocides, les attaques contre l’identité et contre les droits de la personne et l’indifférence à l’égard du changement climatique ainsi que ses conséquences environnementales et humaines ne sont que quelques exemples de tragédies qui affligent le monde et bouleversent les esprits. Le conflit, cependant, est-il toujours un phénomène à craindre et à éviter ? Ne serait-il pas indispensable à la transformation et au progrès ? Sara Ahmed (2003) souligne notamment que le conflit peut mener à la création des mondes, car les réactions individuelles ou collectives aux désaccords et divergences ont à leur tour un impact, souvent positif, sur les individus et les communautés. Autrement dit, « le conflit est apparu comme un élément inéluctable des relations humaines pouvant revêtir des formes différentes et jouant un rôle dans la dynamique et l’évolution des individus et des collectivités » (Marc et Picard 130). Dépasser le conflit demande donc un effort individuel et collectif pour « passer d’une situation fondée sur l’antagonisme à un rapport visant l’équilibre et l’échange » (Marc et Picard 140). Au cours de l’histoire, l’art et la littérature se sont servis de stratégies variées pour critiquer et questionner les enjeux en question.
Afin de mieux comprendre la nature du conflit, les réponses possibles et les conséquences qui en résultent, ce colloque se propose d’explorer la représentation du phénomène dans la littérature et la production culturelle. Nous invitons ainsi les étudiant.e.s de maîtrise et de doctorat à contribuer à ce dialogue en partageant leurs réflexions sur la représentation littéraire et culturelle de différentes formes de conflit. En vue d’encourager la réflexion, nous proposons à titre indicatif et non exhaustif quelques axes de recherche.
Axe
Souvent associé à la violence physique, le conflit engage le corps. Les manifestations des conflits géopolitiques, par exemple, comprennent souvent le combat physique, le déracinement et le déplacement des individus et des communautés, ainsi que les blessures et la mort. Pourtant, il ne faut pas oublier que la violence physique ne se limite pas aux contextes de guerre, car les violences sexistes, racistes, homophobes et transphobes se produisent même au sein des sociétés « paisibles ».
Ce premier axe s’intéresse aux représentations de la violence physique ainsi qu’aux réponses possibles du corps au conflit. Pour définir l’implication du corps, on pourrait considérer la formule traditionnelle « fight or flight » (Cannon 1932), c’est-à-dire la réponse viscérale à un danger perçu. Le combat (« fight ») est l’exemple prototypique de la réponse physique de se défendre contre une insulte ou une agression. Devant les hostilités ouvertes, « le combat est mené avec la volonté de gagner et d’écraser l’adversaire » (Marc et Picard 140). Ici, on songe à la violence comme forme de résistance, exercée par des individus et des groupes qui sont confrontés à un danger actif. En revanche, la fuite (« flight ») est associée à un déplacement, à un déracinement ou à une évasion. Cette réponse caractérise des situations où on est contraint à abandonner son pays natal à cause d’une force opprimante ou à cause des conditions de vie insupportables. En plus de ces deux réponses classiques, on peut penser à l’immobilisation (« freeze »), qui est souvent perçue comme l’absence d’action, ou l’inaction, une réponse en opposition au mouvement ou à l’adaptation. Le sujet menacé perd ses capacités de réagir et de s’engager en combat ou en fuite (Pasche Guignard 291).
Finalement, une dernière catégorie supplémentaire (« fawn ») décrit une réponse de soumission, résultat fréquent d’un traumatisme subi (Chesnakas 90). Cela inclut, par exemple, le sacrifice, l’indifférence ou l’apathie. Ce point de départ encourage une réflexion sur la pluralité des réactions physiques. Comment ces réponses sont-elles représentées dans la littérature et la production artistique ? En outre, les réponses physiques ne se réduisent pas aux corps individuels. De quelles façons le corps collectif se mobilise-t-il pour résister au conflit (par exemple, lors des manifestations, des grèves, des agitations, des révolutions) ? Quels corps sont-ils les plus vulnérables à la violence physique ? Quels acteurs sont-ils autorisés à commettre des actes de violence et pourquoi ? Puisque les représentations de la résistance ne se limitent pas aux actions combatives, la question de réponses non-violentes au conflit s’impose.
Même si le conflit évoque l’opposition, il ne peut s’y réduire. Car, les conflits offrent la possibilité de se rassembler et de s’allier, que ce soit pour lutter contre un adversaire commun, mettre fin au désaccord ou persister en solidarité. Ce deuxième axe invite à réfléchir aux collectivités qui émergent, se renforcent ou se fracturent face au conflit. En regardant au-delà du plan individuel, on peut interroger les nombreuses façons dont les communautés réagissent aux crises et aux antagonismes. Tout comme les conflits eux-mêmes, ces réactions sont variées et peuvent être interprétées à la lumière de plusieurs cadres théoriques différents.
Par exemple, on pourrait s’inspirer des définitions féministes et antiracistes de la solidarité (par ex. hooks 1984 ; Lorde 1984 ; Vergès 2019) qui nous rappellent que nous devrions toustes être concerné.es par les inégalités structurelles et les oppressions, peu importe si elles nous affectent directement ou non. Même si les privilèges donnent l’illusion d’une distance par rapport au conflit, on est chacun.e impliqué.e dans le maintien ou le démantèlement de ces structures et systèmes oppressifs. On pourrait également s’appuyer sur l’éthique du care (par ex. Bourgault et Perreault 2015 ; Gilligan et al. 2013) qui rejette les réponses néolibérales et individualisées au conflit pour mettre plutôt l’accent sur l’interdépendance des sujets vulnérables. Chez Loïc Bourdeau, Natalie Edwards et Steven Wilson, le care est d’une importance primordiale car : « [l]’aliénation, la discrimination, la destruction et l’injustice réclament toutes des actes réactifs de soin – des actes qui mènent finalement à la guérison, pour soi-même et/ou pour les autres »1 (288).
On pourrait aussi se tourner vers la pensée autochtone (par ex. Jeannotte et al. 2018 ; Simpson 2016 ; Tuck et Yang 2012) pour examiner le conflit dans le contexte du colonialisme de peuplement et pour interroger les défis et les limites de la « réconciliation ». Sans limiter les approches possibles, ces suggestions cherchent à stimuler une réflexion sur les réponses éthiques et interpersonnelles aux conflits. Quelles sont nos responsabilités envers les autres face au conflit? Quelles pratiques nous permettent-elles de prendre en compte la vulnérabilité d’autrui? Quels obstacles se présentent-ils à la réalisation de partenariats significatifs et durables?
1 Traduit de l’anglais : « Alienation, discrimination, destruction and injustice all cry out for responsive acts of care—for acts that lead ultimately to healing, for the self and/or for others ».
En étudiant les réponses individuelles au conflit, on peut avoir recours à la stratégie de projection psychologique ou affective. Cet axe cherche à inciter des questions sur la reconnaissance de l’humanité d’autrui et sur la tolérance des autres points de vue qui mènent à la compréhension éventuelle des conflits. Par exemple, l’empathie est un processus complexe et dynamique qui permet un partage émotionnel avec le sujet : « elle consiste à éprouver l’émotion d’autrui en se mettant à sa place, c’est-à-dire en changeant de point de vue, tout en restant soi-même » (Berthoz et al. 27). La capacité empathique maintient que l’on apporte ses propres expériences à un problème ou à une situation en adoptant simultanément une perspective alternative.
La psychologie et l’affectivité touchent non seulement aux relations interdépendantes, mais aussi à celles qui se nouent au sein de l’individu-même, ce qui invite la réflexion sur les notions de traumatisme, de self-care ou de guérison. Il s’agit aussi des réactions fortes en émotion, que ce soit la colère, la douleur ou l’amour. La variabilité inhérente des espaces mentaux offre l’occasion de réfléchir à la subjectivité de ces réponses psychologiques et affectives. Quelles suppositions devrait-on faire pour arriver à comprendre les psychés, les émotions et les désirs impliqués dans les conflits ? Comment l’émotion est-elle influencée par les considérations sociales ou culturelles (Ahmed 2014) ? Les enjeux affectifs nuiraient-ils à la résolution du conflit ou susciteraient-ils au contraire un dénouement avantageux ? Comment la littérature et les arts représentent-ils les conflits émotionnels et affectifs ?
Selon Aristote, la rhétorique est un modèle de communication qui comporte l’ethos, le pathos et le logos, ou la concentration du discours sur l’orateur, l’auditoire et le message (Meyer 13). Puisque « la rhétorique est la négociation de la distance entre les sujets (ethos-pathos) sur une question donnée (logos) » (Meyer 26), une perspective rhétorique entraîne la diminution ou l’élargissement de la distance entre les actants d’un conflit. La rhétorique, ainsi que l’argumentation, sont des outils qui permettent de prendre en charge la différence entre les parties car les stratégies rhétoriques favorisent l’exploration et la résolution du conflit par le discours. Elles imprègnent les pourparlers et les négociations politiques et sociales autant qu’elles s’appliquent aux conflits narratologiques ou de réception dans le contexte de la production artistique. Cet axe encourage à s’interroger sur le schéma de communication et ses ruptures possibles. Comment la persuasion rhétorique exerce-t-elle un effet sur la perception du conflit ? Quelles sont les conséquences d’un étouffement de la parole, ou en revanche, de l’expression sans obstacles ?
Sans s’y limiter, les communications pourront s’inspirer des pistes de réflexion suivantes, toutes envisagées dans le contexte de représentations littéraires ou culturelles du conflit:
- Le trauma et les impacts psychologiques
- La perte, la mort et le sacrifice
- La survivance, la résistance et l’adaptation
- La fuite, l’immobilisation et la soumission
- L’imbrication des réponses physiques et psychologiques
- La solidarité et la communauté
- Le care, y compris le self-care
- Les réponses affectives telles que l’empathie ou la sympathie
- L’émotion née du conflit (par ex. la colère, la tristesse, l’amour)
- L’éthique, la morale et la déontologie
- La persuasion narrative, discursive ou visuelle
- Le nationalisme et la colonisation
Modalités de soumission
Les communications doivent être rédigées en français et ne devront pas dépasser 20 minutes. Veuillez envoyer les propositions de communication à l’adresse: colloquefrmac@gmail.com, en y incluant:
● Le titre
● Le résumé (250 à 300 mots)
● Une brève notice biobibliographique
● Vos coordonnées
Notez que ce colloque aura lieu en présentiel. Nous envisageons une séance virtuelle (Zoom) avec des places limitées pour celleux qui ne sont pas capables de se déplacer à Hamilton. Si vous souhaitez donner une communication virtuelle, signalez cette préférence dans votre proposition de communication. Pour tout renseignement, veuillez communiquer avec le comité organisateur à l’adresse susmentionnée.
Dates importantes
La date limite pour soumettre la proposition : le 1ᵉʳ mars 2024.
Le comité de lecture communiquera les réponses au plus tard le 1ᵉʳ avril 2024.
Navigation Groups
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Comité organisateur
- Céline Assaf
- Emily Current
- Emily Gula
- Maia Lepingwell-Tardieu
- Lorraine Mathot
- Alexandra Moskovitch
- Athira Sanjeev
- Dre Elzbieta Grodek