Colloque annuel des étudiant.es de maîtrise et de doctorat en études françaises et francophones
20ᵉ édition
Université McMaster
Hamilton, Ontario
Les 28 et 29 mai 2024
20ᵉ édition
Université McMaster
Hamilton, Ontario
Les 28 et 29 mai 2024
Qu’il soit interpersonnel, social, idéologique, politique ou civil, le conflit suppose à son origine une tension qui met à dure épreuve la relation. De cette tension naît une instabilité, un état de désordre, et un manque de cohésion qui demandent une résolution en vue du rétablissement de la relation ainsi compromise. Dans son sens global, le conflit communique « une situation relationnelle structurée autour d’un antagonisme », ce qui suggère des valeurs mises en opposition, des enjeux de compétition ou des hostilités affectives (Marc et Picard 130). Le conflit est aussi associé à une lutte pour la survie (Jones et Fabian 1), à la division subjective entre « soi » et « autre » (Jones et Fabian 5) ou à une expression du politique (Morier et Thollot 154). Selon sa définition wébérienne, « la tension désigne les rapports d’opposition qu’engendrent la rencontre entre des sphères différentes de la vie » (Steiner 167). Les définitions citées révèlent à quel point le conflit est un concept ouvert qui renvoie à une variété de configurations.
Les interprétations ordinaires présentent le conflit comme une force négative et destructrice, ce que l’époque actuelle semble confirmer. Les guerres et les génocides, les attaques contre l’identité et contre les droits de la personne et l’indifférence à l’égard du changement climatique ainsi que ses conséquences environnementales et humaines ne sont que quelques exemples de tragédies qui affligent le monde et bouleversent les esprits. Le conflit, cependant, est-il toujours un phénomène à craindre et à éviter ? Ne serait-il pas indispensable à la transformation et au progrès ? Sara Ahmed (2003) souligne notamment que le conflit peut mener à la création des mondes, car les réactions individuelles ou collectives aux désaccords et divergences ont à leur tour un impact, souvent positif, sur les individus et les communautés. Autrement dit, « le conflit est apparu comme un élément inéluctable des relations humaines pouvant revêtir des formes différentes et jouant un rôle dans la dynamique et l’évolution des individus et des collectivités » (Marc et Picard 130). Dépasser le conflit demande donc un effort individuel et collectif pour « passer d’une situation fondée sur l’antagonisme à un rapport visant l’équilibre et l’échange » (Marc et Picard 140). Au cours de l’histoire, l’art et la littérature se sont servis de stratégies variées pour critiquer et questionner les enjeux en question.
Afin de mieux comprendre la nature du conflit, les réponses possibles et les conséquences qui en résultent, ce colloque se propose d’explorer la représentation du phénomène dans la littérature et la production culturelle. Nous invitons ainsi les étudiant.e.s de maîtrise et de doctorat à contribuer à ce dialogue en partageant leurs réflexions sur la représentation littéraire et culturelle de différentes formes de conflit. En vue d’encourager la réflexion, nous proposons à titre indicatif et non exhaustif quelques axes de recherche.
Le programme: https://french.humanities.mcmaster.ca/wp-content/uploads/sites/8/2024/05/Programme-du-Colloque-2024b.pdf
Souvent associé à la violence physique, le conflit engage le corps. Les manifestations des conflits géopolitiques, par exemple, comprennent souvent le combat physique, le déracinement et le déplacement des individus et des communautés, ainsi que les blessures et la mort. Pourtant, il ne faut pas oublier que la violence physique ne se limite pas aux contextes de guerre, car les violences sexistes, racistes, homophobes et transphobes se produisent même au sein des sociétés « paisibles ».
Ce premier axe s’intéresse aux représentations de la violence physique ainsi qu’aux réponses possibles du corps au conflit. Pour définir l’implication du corps, on pourrait considérer la formule traditionnelle « fight or flight » (Cannon 1932), c’est-à-dire la réponse viscérale à un danger perçu. Le combat (« fight ») est l’exemple prototypique de la réponse physique de se défendre contre une insulte ou une agression. Devant les hostilités ouvertes, « le combat est mené avec la volonté de gagner et d’écraser l’adversaire » (Marc et Picard 140). Ici, on songe à la violence comme forme de résistance, exercée par des individus et des groupes qui sont confrontés à un danger actif. En revanche, la fuite (« flight ») est associée à un déplacement, à un déracinement ou à une évasion. Cette réponse caractérise des situations où on est contraint à abandonner son pays natal à cause d’une force opprimante ou à cause des conditions de vie insupportables. En plus de ces deux réponses classiques, on peut penser à l’immobilisation (« freeze »), qui est souvent perçue comme l’absence d’action, ou l’inaction, une réponse en opposition au mouvement ou à l’adaptation. Le sujet menacé perd ses capacités de réagir et de s’engager en combat ou en fuite (Pasche Guignard 291).
Finalement, une dernière catégorie supplémentaire (« fawn ») décrit une réponse de soumission, résultat fréquent d’un traumatisme subi (Chesnakas 90). Cela inclut, par exemple, le sacrifice, l’indifférence ou l’apathie. Ce point de départ encourage une réflexion sur la pluralité des réactions physiques. Comment ces réponses sont-elles représentées dans la littérature et la production artistique ? En outre, les réponses physiques ne se réduisent pas aux corps individuels. De quelles façons le corps collectif se mobilise-t-il pour résister au conflit (par exemple, lors des manifestations, des grèves, des agitations, des révolutions) ? Quels corps sont-ils les plus vulnérables à la violence physique ? Quels acteurs sont-ils autorisés à commettre des actes de violence et pourquoi ? Puisque les représentations de la résistance ne se limitent pas aux actions combatives, la question de réponses non-violentes au conflit s’impose.
Même si le conflit évoque l’opposition, il ne peut s’y réduire. Car, les conflits offrent la possibilité de se rassembler et de s’allier, que ce soit pour lutter contre un adversaire commun, mettre fin au désaccord ou persister en solidarité. Ce deuxième axe invite à réfléchir aux collectivités qui émergent, se renforcent ou se fracturent face au conflit. En regardant au-delà du plan individuel, on peut interroger les nombreuses façons dont les communautés réagissent aux crises et aux antagonismes. Tout comme les conflits eux-mêmes, ces réactions sont variées et peuvent être interprétées à la lumière de plusieurs cadres théoriques différents.
Par exemple, on pourrait s’inspirer des définitions féministes et antiracistes de la solidarité (par ex. hooks 1984 ; Lorde 1984 ; Vergès 2019) qui nous rappellent que nous devrions toustes être concerné.es par les inégalités structurelles et les oppressions, peu importe si elles nous affectent directement ou non. Même si les privilèges donnent l’illusion d’une distance par rapport au conflit, on est chacun.e impliqué.e dans le maintien ou le démantèlement de ces structures et systèmes oppressifs. On pourrait également s’appuyer sur l’éthique du care (par ex. Bourgault et Perreault 2015 ; Gilligan et al. 2013) qui rejette les réponses néolibérales et individualisées au conflit pour mettre plutôt l’accent sur l’interdépendance des sujets vulnérables. Chez Loïc Bourdeau, Natalie Edwards et Steven Wilson, le care est d’une importance primordiale car : « [l]’aliénation, la discrimination, la destruction et l’injustice réclament toutes des actes réactifs de soin – des actes qui mènent finalement à la guérison, pour soi-même et/ou pour les autres »1 (288).
On pourrait aussi se tourner vers la pensée autochtone (par ex. Jeannotte et al. 2018 ; Simpson 2016 ; Tuck et Yang 2012) pour examiner le conflit dans le contexte du colonialisme de peuplement et pour interroger les défis et les limites de la « réconciliation ». Sans limiter les approches possibles, ces suggestions cherchent à stimuler une réflexion sur les réponses éthiques et interpersonnelles aux conflits. Quelles sont nos responsabilités envers les autres face au conflit? Quelles pratiques nous permettent-elles de prendre en compte la vulnérabilité d’autrui? Quels obstacles se présentent-ils à la réalisation de partenariats significatifs et durables?
1 Traduit de l’anglais : « Alienation, discrimination, destruction and injustice all cry out for responsive acts of care—for acts that lead ultimately to healing, for the self and/or for others ».
En étudiant les réponses individuelles au conflit, on peut avoir recours à la stratégie de projection psychologique ou affective. Cet axe cherche à inciter des questions sur la reconnaissance de l’humanité d’autrui et sur la tolérance des autres points de vue qui mènent à la compréhension éventuelle des conflits. Par exemple, l’empathie est un processus complexe et dynamique qui permet un partage émotionnel avec le sujet : « elle consiste à éprouver l’émotion d’autrui en se mettant à sa place, c’est-à-dire en changeant de point de vue, tout en restant soi-même » (Berthoz et al. 27). La capacité empathique maintient que l’on apporte ses propres expériences à un problème ou à une situation en adoptant simultanément une perspective alternative.
La psychologie et l’affectivité touchent non seulement aux relations interdépendantes, mais aussi à celles qui se nouent au sein de l’individu-même, ce qui invite la réflexion sur les notions de traumatisme, de self-care ou de guérison. Il s’agit aussi des réactions fortes en émotion, que ce soit la colère, la douleur ou l’amour. La variabilité inhérente des espaces mentaux offre l’occasion de réfléchir à la subjectivité de ces réponses psychologiques et affectives. Quelles suppositions devrait-on faire pour arriver à comprendre les psychés, les émotions et les désirs impliqués dans les conflits ? Comment l’émotion est-elle influencée par les considérations sociales ou culturelles (Ahmed 2014) ? Les enjeux affectifs nuiraient-ils à la résolution du conflit ou susciteraient-ils au contraire un dénouement avantageux ? Comment la littérature et les arts représentent-ils les conflits émotionnels et affectifs ?
Selon Aristote, la rhétorique est un modèle de communication qui comporte l’ethos, le pathos et le logos, ou la concentration du discours sur l’orateur, l’auditoire et le message (Meyer 13). Puisque « la rhétorique est la négociation de la distance entre les sujets (ethos-pathos) sur une question donnée (logos) » (Meyer 26), une perspective rhétorique entraîne la diminution ou l’élargissement de la distance entre les actants d’un conflit. La rhétorique, ainsi que l’argumentation, sont des outils qui permettent de prendre en charge la différence entre les parties car les stratégies rhétoriques favorisent l’exploration et la résolution du conflit par le discours. Elles imprègnent les pourparlers et les négociations politiques et sociales autant qu’elles s’appliquent aux conflits narratologiques ou de réception dans le contexte de la production artistique. Cet axe encourage à s’interroger sur le schéma de communication et ses ruptures possibles. Comment la persuasion rhétorique exerce-t-elle un effet sur la perception du conflit ? Quelles sont les conséquences d’un étouffement de la parole, ou en revanche, de l’expression sans obstacles ?
Sans s’y limiter, les communications pourront s’inspirer des pistes de réflexion suivantes, toutes envisagées dans le contexte de représentations littéraires ou culturelles du conflit:
Les communications doivent être rédigées en français et ne devront pas dépasser 20 minutes.
Veuillez envoyer les propositions de communication à l’adresse: colloquefrmac@gmail.com, en y incluant:
● Le titre
● Le résumé (250 à 300 mots)
● Une brève notice biobibliographique
● Vos coordonnées
Notez que ce colloque aura lieu en présentiel. Nous envisageons une séance virtuelle (Zoom) avec des places limitées pour celleux qui ne sont pas capables de se déplacer à Hamilton. Si vous souhaitez donner une communication virtuelle, signalez cette préférence dans votre proposition de communication. Pour tout renseignement, veuillez communiquer avec le comité organisateur à l’adresse susmentionnée.
La date limite pour soumettre la proposition : le 1ᵉʳ mars 2024.
Le comité de lecture communiquera les réponses au plus tard le 1ᵉʳ avril 2024.